Hervé Couton
Photographies
Les Graffitis de Belleperche
Abbaye de Belleperche
7 juin - 30 septembre 2003
Depuis que l’être humain élève
des murs, pour s’abriter ou honorer ses dieux, il cède à la
tentation de laisser une trace directement personnelle de son séjour
terrestre. Gravé ou écrit, le graffiti se veut durable, comme
un illusoire sentiment d’éternité. Les thèmes qu’il développe sont variés, mais de la simple signature datée, pour dire « j’étais là, tel jour », jusqu’au symbole religieux, du cœur percé d’une flèche jusqu’aux barres égrenant les jours de prison, les graffitis assurent la pérennité d’un message. Sur les monuments d’Egypte et les pupitres d’école, sur les pierres d’un donjon ou les vitres d’un métro, le graffiti nous met tout à coup en face d’un poème ou d’une proposition indécente, d’un nom illustre ou d’un banal prénom, d’une insulte rageuse ou d’une déclaration d’amour. A Belleperche, les murs de la cage d’escalier, de l’hôtellerie et, avant leur restauration, ceux du salon et de la salle à manger, sont (ou étaient) couverts des témoignages de personnes qui sont un jour passées par l’abbaye. Le premier graffiti identifié date de 1756. Moines, hôtes, voisins, propriétaires et leur famille, soldats, réfugiés, artisans, paysans, ils sont nombreux à avoir marqué leur présence. Il s’agit, bien sûr, d’une forme de vandalisme. Et pourtant, tel est le paradoxe de ce mode d’expression qu’il forme à présent un étonnant livre d’or de l’abbaye. Classer ces graffitis ne servirait qu’à ôter toute la saveur de leur spontanéité. Il faut se laisser prendre à au piège temporel, apprécier les graphismes et les déchiffrer, en goûtant le plaisir si particulier de songer qu’à l’endroit où nous nous tenons, cinquante ans, un siècle, ou deux siècles plus tôt, quelqu’un se tenant à la même place a gravé ce texte dans l’enduit. |
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Les graffitis du salon et de la salle à manger,
une centaine environ, ont disparu lors de la restauration de ces salles en
2001. Il y avait un message direct : « Nicole je t’aime. Bernard »,
du romantisme : « Lui et elle, toi et moi, 10 août 1944 »,
et une froide comptabilité sentimentale : « Philomène
Fournier (…) à fréquenter Pierre Moignard le 14 juin 1921 ».
Un enthousiaste avait tracé cette annonce : « le cirque Pinder
passera 15 mars 1921 à Castel ». Un fanfaron s’intitulait «
Maurice l’hercule, le sans pareil » ! Tel contestataire n’hésita
pas à graver sa colère, non sans confusion : « Merde
pour les chateaux est qui se gouverne a bas la calotte signé… ».
Mais le plus étonnant reste ce texte tracé au crayon, qui semblait
plus destiné à une correspondance privée qu’à
être étalé sous les yeux de tous : « (…) le 21
6e 1929 sans oublier ton fiancé que tu n’as même pas présenté
le jour que je suis allé là-bas et il a fallu que le hassard
(sic) hier prenne la forme dun jeune homme des environs de Larraset pour
m’apprendre a ma grande stupeur que tu allais te marier tu aurais pu tout
de même le faire savoir à Moissac ou long (sic) doit lignorer
(sic) encore enfin si tu te marie selon ton cœur vive le mariage et accepte
mes meilleurs vœux de bonheur je n’aurais qu’un regret celui de perdre une
amie ou plutot des amis qui m’était (sic) chers ». Dans l’escalier, le plus ancien graffiti est l’œuvre d’un militaire napoléonien : « Duprat passé le 12 juin 1809 ». Un soldat de cette époque est d’ailleurs tracé au rez-de-chaussée. Au garde à vous et souriant, ce personnage porte shako, uniforme à épaulettes, et présente son arme… sur la mauvaise épaule. Le dessinateur distrait n’a pas tenu compte de l’inversion. Les prénoms féminins lisibles le long de la troisième volée de marches sont en majorité ceux de prostituées du Nord de la France, abritées ici durant quelques mois en 1915. Près d’une porte, comme en écho aux inscriptions des temps de guerre, une énorme colombe est posée sur une branche d’olivier. Vœu de paix, probablement, car cette gravure est entourée de noms datés de septembre 1914. Un grand nombre de patronymes régionaux se lisent partout : Badens 1966, Frisac 1888, Lacoste 1859, Lafaurie 1903, Pouy 1903, Véronèse 1950, Foncrose, Lombrail 7 mars 1911, Saintemarie 1915, Elie Goubée, Patricia Monay 1914, Jane Lagrange 24 août 1913, Delpech 1849, Plantade, Amouroux, Custou, Malecaze, Féral, Boursiac, Emile Harassary 1909, Léon Langlade 1914, Marie et Jeanne Mandou le 31 août 1890, Barthe, Léon Gibert 1915, Victor Bras, René et Odette Redon le 22 septembre 1944… Jean-Michel GARRIC - Conservateur de l'Abbaye de Belleperche |
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La galerie des graffitis A l’étage, le vaste couloir de l’ancienne
hôtellerie concentre les graffitis les plus intéressants. Beaucoup
ont été heurtés, grattés, usés. Certains
noms furent délibérément biffés. Nombre de mots,
de messages, ne sont ainsi plus lisibles. Au milieu du XVIIIe siècle,
quand ce bâtiment était tout neuf, un « Lasserre »
a daté son graffiti de février 1756. Un badigeon l’a recouvert,
mais les écrits postérieurs, de 1769 à 1787, sont apparents
dans l’enduit, preuve que l’on a vite abandonné toute idée
de rafraîchissement. Qui étaient Hubert Lamort en 1770 et Jean-Pierre
Fonsorbes en 1777 ? Peut-être des moines, comme cet Aussilloux qui
se dit « choriste à Belleperche ». L’un des plus récents
dessins, des années 1970 ou 1980, est une tête de Gaston Lagaffe
fumant un énorme « pétard », sous lequel est inscrit
le nom de Bob Marley…
Parmi les patronymes, se distinguent ceux de propriétaires
de Belleperche au XIXe siècle, les Bauby, Orliac et Fraîche,
comme « Jean Orliac-Toussaint passé à Belleperche le
26 messidor an 13e », « Fraiche Emile bachelier es lettres et
sciences 1869 », ou le capitaine Fraiche, né le 16 mai 1791,
et qui célébra ses anniversaires ici, entre 1865 et 1868.
On notera que Raymond Picharr… s’est « arrete (sic) au couvent de belleperche le 7 octobre 1808 », à cause « du mauvais temps », et qu’un mécontent n’a pas hésité à prendre une échelle pour tracer le graffiti le plus élevé de l’abbaye : « palais des puces ». Est-ce une allusion à un quelconque inconfort des lieux ? Plus inspiré fut l’auteur de ces mots : « saint Augustin a dit lorsque vous possederes (sic) Jésus Christ vous serez riche et lui seul vous sufit (sic) ». Mais un lecteur en désaccord a ajouté un « ho !!! » indigné. Le message le plus long est en espagnol.
Net et haut perché, il s’adresse à nous, lecteurs du futur : « el senor don Jose Seguy nacido el 21 de agosto 1851 se ha casado en este castel el 14 de sitiembre 1876 con la senorita dona Lucy Fraiche y a(…)uelto en el dicho castel con su senora y su hijo de dos meses y seis dias el 30 de diciembre de 1877. Don Jose ha cumplido sus deveros am la patria y ha siao herido a la batala de Wissembourg el 4 de agosto 1870. Salud et amistao a quien traducira estas lineas ». Les guerres ont aussi laissé leur trace dans ce couloir. Tout près l’une de l’autre figurent ces deux lignes : « 230 françaises de retour d’Allemagne le 4 avril 1915 » et « 25 juin 1940 14e train 752e cie. auto ». L’amour, encore, s’étale un peu partout : « j’aime et on m’aime », « J’aime Angela », « Aime moi et je t’aimerai », « Ho que je t’aime aimable Mélina », « Mélina est mon amie fidèle et je le suis pour elle ». Jean-Michel GARRIC - Conservateur de l'Abbaye de Belleperche |
Les amants de Belleperche
Aucun de ces cris d’amour ne saurait atteindre l’intensité de l’histoire d’Alceste et de Clémence. 1827 : Clémence Bringou et Alceste Orliac s’aiment et le prouvent en gravant leur nom sous des cœurs surmontés d’initiales. En 1830, emporté par ses sentiments mais aussi par l’atmosphère de la Révolution qui renverse Charles X, Alceste a pris une échelle et calligraphié au milieu du couloir le plus beau des graffitis de Belleperche, un « Vive la Liberté » énorme et limpide. Les ailes lui poussent. Les deux tourtereaux s’affichent à nouveau avec cette invocation mutilée : « que Dieu nous… ». Un majestueux « Gloire aux Amans » domine une porte, des cœurs enflammés disent toute leur passion. En 1831, Clémence a changé de patronyme. De « Bringou », sans doute un surnom familial, la voici « Chatinières », son véritable nom. Et puis vient, apparemment, la catastrophe. Dans l’embrasure de la vaste baie vitrée, nous lisons « la liberté de Clémence Chatinières ». Et à côté, dans un coin, cette phrase pleine de dépit rédigée obliquement : « Clémence l’infidelle (sic) payée par une fidellité (sic) éternelle ». Qu’est-il advenu de Clémence ? Comment cette longue idylle s’est-elle terminé ? A chacun de se forger une opinion*. Car c’est aussi cela le graffiti, une énigme qui laisse le lecteur sans explication, sans indice, seul avec son imagination. Amour, déception, colère, regrets, espoir…toute la gamme des sentiments passe à travers ces modestes inscriptions. Et la morale dans tout ceci ? Il y en a une, gravée sur un mur de l’escalier datant de la Révolution, dans l’aile des jardiniers. Une lapalissade, c’est certain, mais elle coule de source : « Pour éviter le mal, ne faites que le bien ». Jean-Michel GARRIC - Conservateur de l'Abbaye de Belleperche * M. Delord, professeur d’histoire, c’est penché sur ce mystère à notre demande : Clémence fut tout simplement mariée en 1834… mais pas avec Alceste ! |
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Hervé Couton est né à Bordeaux
le 18 novembre 1955. |
Conception = Hervé Couton - réalisation = Laurent Collet
avec le concours du Conseil Général de Tarn et Garonne
Abbaye de Belleperche
82700 CORDES TOLOSANNES
05.63.95.62.75
abbaye.belleperche@cg82.fr
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